JOSEPH BABINSKI
Deux ans après son frère Henri, Joseph Babinski naît à Paris le 17 novembre 1857.
Leur père Aleksander participa au “Printemps des Peuples” de 1848, combattant durant l’insurrection militaire de Grande-Pologne contre les forces prussiennes. Leur oncle paternel, Antoni, émissaire de la Société démocratique polonaise, avait été exécuté par les Prussiens en 1847 à Poznań. En 1849, Aleksander émigrera avec son épouse Henryka et terminera l’École des Mines à Paris pour devenir ingénieur géomètre. Il se retrouvera plus tard à Cracovie pour participer à l’insurrection de Janvier 1863 contre l’Empire russe. De retour en France, il reprendra son métier jusqu’en 1874 où il va alors partir pour le Pérou pour y exercer en tant qu’ingénieur et géologue. Cette situation lucrative lui permet d’envoyer à sa femme les subsides nécessaires à l’entretien et à l’éducation de leurs deux fils. Il rentrera à Paris en 1887 où il demeurera jusqu’à son décès en 1899. Pour services rendus au Pérou, son buste sera également placé sur un monument érigé à Lima en 1914. Durant les absences du père, les deux frères seront élevés par leur mère. Tous deux voueront toute leur vie un amour et une reconnaissance infinis à « cette vaillante Polonaise, qui fut une épouse et une mère incomparable ».
![]() |
Henri et Joseph étudient à la célèbre École polonaise de la rue des Batignolles, fondée dans la capitale française après l'insurrection de Novembre 1830 en Pologne. Puis, ils se retrouvent en 1870 au Lycée Descartes (qui reviendra Lycée Louis-le-Grand en 1873). Les deux frères étaient républicains. À la maison, on était à la fois polonais et français. Henri participera à la vie de l'émigration polonaise et deviendra membre du conseil d'administration d’une institution fondée en 1862 collectant des impôts auprès des émigrés à des fins d'entraide, entre autres, pour assurer un minimum de moyens de subsistance aux réfugiés politiques durant leur vieillesse. Dès sa sortie de l’École des mines de Paris, en 1880, Henri entame une carrière d’ingénieur et va mener des recherches géologiques dans de nombreux pays. Après plus de vingt ans de missions difficiles, il dispose d’un capital qui lui assure une bonne aisance financière lui permettant d’entrevoir une paisible retraite et, en 1907, il publie sous le pseudonyme d’Ali-Bab, “Gastronomie pratique”, un ouvrage qui obtient un succès considérable et bénéficie de nombreuses éditions et rééditions jusqu’aux années 1990 ! Ne reniant jamais ses origines polonaises, Ali-Bab n’y donne pas moins de sept recettes différentes du fameux barszcz (barchtch), le « type polonais des potages aigrelets » à base de betteraves ! |
Quant à Joseph, après avoir terminé ses études de médecine à l'Université de Paris en 1879, il devient interne à l'Hôtel-Dieu où il travaille successivement avec l'anatomopathologiste Victor Cornil et le neurologue Alfred Vulpian, auprès desquels il apprend la méthodologie de la recherche clinique. Les compétences acquises durant cette période vont lui servir tout au long de sa vie. Durant cette période, il publie onze articles, principalement en neurologie. En 1885, il obtient son doctorat en médecine grâce à une thèse sur la sclérose en plaques. Par chance, il sera admis à l'hôpital de la Salpêtrière, où une clinique neurologique autonome fonctionne depuis trois ans, avec une chaire de neurologie dirigée par Jean-Martin Charcot. Babinski en devient le premier assistant de clinique.
![]() |
|
Dans le célèbre tableau du peintre André Brouillet, intitulé «Une leçon clinique à la Salpêtrière» (1887), on voit Charcot, reproduisant sous hypnose une crise d’hystérie chez Blanche Wittman, son modèle préféré. C’est Joseph Babinski (à droite) qui l’assiste dans cette démonstration. |
|
En 1890, après avoir réussi des concours, Joseph obtint le grade de médecin des hôpitaux de Paris. Peu loquace durant ses consultations, il n’en est pas moins un observateur exceptionnel. Cette même année, il commence à travailler à l'hôpital de la Pitié. Le service, dont il prend la direction en 1893, compte 100 lits, principalement occupés par des patients souffrant de maladies internes. Babinski confie ces patients à ses médecins internistes, tandis que lui-même va se concentrer sur les patients atteints de troubles neurologiques. Il occupera le poste de médecin-chef à la Pitié jusqu'à sa retraite en 1927. Il poursuivra ensuite ses travaux scientifiques et cliniques. Durant toutes ces années, il va codifier la neurologie et distinguer les grandes affections neurologiques organiques. Pratiquement jusqu'à la fin de sa vie, malgré une maladie de Parkinson progressive, il continuera de se rendre à l'hôpital pour prodiguer conseils et connaissances. |
Joseph Babinski Chef de service à la Pitié |
|
*En 1892, sur les conseils et recommandations de Charcot, Babinski s’était présenté au prestigieux examen de professeur agrégé. La notoriété des examens signifiait que le mérite n'était pas le seul critère. En raison d’une mésentente entre Charcot et le président du jury, Charles Bouchard, aucun des candidats de Charcot ne fut élu. Cet échec lui ferma les portes du monde universitaire. Babinski ne tentera plus jamais de repasser l’examen. Cela ne l’empêchera pas d’avoir une carrière d’une richesse exemplaire, qui fera de lui un des neurologues les plus internationalement reconnus de sa génération.
|
Joseph Babinski vers 1910 |
Encore jeune médecin, Babinski consacra une attention considérable à l'hystérie qu’il définissait comme « un état pathologique se manifestant par des troubles reproductibles chez certains individus avec une précision absolue par la suggestion, et pouvant disparaître sous l'influence de la seule persuasion ». Il jugeait le terme d’hystérie inapproprié et proposa le terme « pithiatisme », du grec « persuasion ». Il ne voyait aucun moyen raisonnable de distinguer l’hystérie de la simulation derrière toute manifestation pathologique. Il fut fasciné également par les phénomènes de télépathie et de médiumnité. Babinski est également l'auteur, en 1900, de la première description du syndrome adiposo-génital (syndrome de Babinski-Fröhlich). Il s'agit d'un trouble de la croissance avec arrêt du développement des organes sexuels et accumulation de graisse, auquel s'ajoutent des symptômes cérébraux (céphalées). |
|
Ses travaux en physiologie du système nerveux et en neuropathologie ont été révolutionnaires pour le développement de la neurologie. Il a découvert l'un des signes neurologiques les plus importants, indiquant une lésion du faisceau pyramidal responsable de la commande motrice volontaire. C’est le réflexe cutané plantaire, qui a été nommé signe de Babinski en son honneur. À la stimulation de la plante du pied, la personne atteinte répond par une extension du gros orteil de façon lente, au lieu de fléchir les orteils par réflexe. |
|
Babinski fait bénéficier la neurologie de l'électrothérapie, de la radiothérapie et de l'ophtalmologie.
Il va également introduire le terme d'anosognosie, trouble neurologique caractérisé par la méconnaissance par le malade de la maladie dont il est atteint, trouble qu’il va décrire dès 1914 et qui fait souvent suite à un accident vasculaire cérébral (AVC) ou que l’on rencontre dans la maladie d’Alzheimer.
Durant la Première Guerre mondiale, Babinski garde une activité soutenue à la Pitié, mais en plus il a la responsabilité d’une antenne chirurgicale militaire installée au lycée Buffon. En examinant des troubles nerveux consécutifs aux combats, des troubles de stress post-traumatique, c’est pour lui l’occasion d’étudier des troubles particuliers qu’ils appellent physiopathiques, c’est-à-dire d'origine motrice ou sensitive, par opposition à une origine psychopathique. Il a en outre une part importante dans les décisions médico-militaires concernant les réformes et les invalidités.
Babinski voulait créer une nouvelle discipline entièrement dédiée au traitement chirurgical de certaines affections du système nerveux. En 1901, il avait proposé la trépanation décompressive du crâne. Le chirurgien Thierry de Martel écrivit plus tard : « Il y a 20 ans, M.Babinski, le premier parmi les neurologues français comprit tout le secours que pouvait apporter la chirurgie aux malades atteints de tumeur cérébrale et médullaire. M.Babinski m’adopta comme chirurgien ; quand il me confiait un de ses malades, et assistait à l’opération, je sentais combien il regrettait de ne pouvoir l’opérer lui-même… »
![]() |
On doit à Babinski ses tests par les épreuves du vertige et de la désorientation (épreuve de Babinski-Weill), destinées à mettre en évidence un trouble de l’équilibre d’origine vestibulaire (oreille interne) ou cérébelleuse (cervelet). Il décrivit le syndrome caractérisé par une perte de vision manifeste due à une cécité congénitale (syndrome d’Anton-Babinski), le patient ne reconnaissant pas son état de non voyant ; le syndrome de la contracture de la main et de l'avant-bras, survenant après une blessure de guerre bénigne du membre supérieur, surtout de la main (syndrome de Babinski-Froment) ; le syndrome d’une hémiplégie située du côté opposé à la lésion nerveuse observée (syndrome de Babinski-Nageotte) ; l’aréflexie, une absence de réflexes qui peut être totale ou partielle, congénitale ou acquise (syndrome de Babinski-Vaquez) ; la notion de l'exagération des réflexes de défense dans la maladie de Friedreich (ataxie), une maladie neurodégénérative héréditaire. |
Il donnait exclusivement des cours magistraux privés, qui consistaient essentiellement en des présentations de patients, avec une discussion détaillée de leurs problèmes. Ces conférences étaient extrêmement populaires auprès des neurologues (y compris étrangers). Tout neurologue qui se respectait estimait devoir y assister. Outre son travail à l'hôpital, il possédait un cabinet privé important (et rentable). Parmi ses patients figuraient Alphonse XIII, roi d'Espagne, le maréchal Philippe Pétain et une multitude de princesses russes.
Joseph Babinski sera élu en février 1914 à l’Académie de Médecine avec 75 voix sur 76 votants ! Commandeur de la Légion d’honneur, il fut membre honoraire de l’American Neurological Association et de la britannique Royal Society of Medicine. Il a été proposé quatre fois pour le prix Nobel de physiologie ou médecine : en 1914, 1924, 1928 et 1932.
|
Signature de Joseph Babiński |
Joseph Babinski, un beau géant aux yeux bleus, fut un grand clinicien, un grand consultant, un grand Français et un grand Polonais et, dit-on, il possédait un charme slave inoubliable (sic)… Il a fait corriger sa notice dans le dictionnaire Larousse en dix tomes, afin qu’après « médecin français » soit précisé « d’origine polonaise »… Tout comme son frère Henri, il est en effet resté toute sa vie très attaché à ses racines polonaises. Tous deux parlaient, lisaient et écrivaient le polonais. Ils orthographiaient leur nom avec un n accentué polonais (ń). Ils ne manquaient pas une occasion de manifester leur attachement à la Pologne. Après la Première Guerre mondiale, les deux frères ont ainsi exprimé leur joie de voir leur patrie polonaise enfin reconstituée. |
|
|
Joseph entretint des liens affectifs et scientifiques avec la Pologne. Il fut l'un des organisateurs et participants des congrès des neurologues polonais à Varsovie en 1909 et des médecins polonais et français à Varsovie en 1922. Il participa au comité de rédaction de Neurologia Polska (Neurologie polonaise). Il était membre honoraire des sociétés médicales polonaises. Il publia des chroniques pour des auteurs polonais dans la “Revue Neurologique”, organe de la Société, dont il était le rédacteur en chef. Il refusa par contre la chaire de neurologie nouvellement créée à l'Université de Varsovie. En 1925, il devint professeur honoraire de neurologie à l'Université de Vilnius. |
|
Atteint de la maladie de Parkinson, Joseph Babinski est décédé le 29 octobre 1932. Bien qu’empreint d’un certain mysticisme, il n’était pas religieux. Avant d’être inhumé dans le caveau familial du Cimetière des Champeaux à Montmorency (Val-d’Oise), le plus grand cimetière polonais de France, il eut toutefois, comme son frère un an plus tôt, des obsèques religieuses. |
|
|
En France, la rue du Docteur-Babinski est une voie située dans le 18e arrondissement de Paris. il existe un CHU Babinski à Ivry-sur-Seine et un Service d'Unité de Chirurgie Ambulatoire Babinski à l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris. En Pologne, l’hôpital universitaire Dr Józef Babiński est à Cracovie un établissement spécialisé dans le traitement des personnes souffrant de troubles mentaux et de dépendance à l'alcool. À Łódź, on trouve un hôpital Józef Babiński, spécialisé en soins psychiatriques.
![]() |
![]() |
![]() |
| Bâtiment Babinski à l'hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris | Hôpital Babiński à Cracovie |
![]() |
Joseph Babinski a vécu et travaillé au troisième étage de cette maison parisienne (170 bis boulevard Haussmann) depuis 1896 avec son frère aîné, Henri, avec qui il formait un duo inséparable depuis le décès de leurs parents. Une plaque commémorative, placée par l’ANLLF (Association des Neurologues Libéraux de Langue Française), se souvient de lui. |














.jpg)