PAWEŁ EDMUND STRZELECKI
Paweł Edmund Strzelecki [stchèlètski] est né le 20 juillet 1797 à Głuszyna près de Poznań, dans une famille de petite noblesse polonaise. Poznań étant alors sous domination prussienne, Paweł est donc né citoyen prussien. Peu attiré par les études, il quitte l’école sans diplôme et fera un court séjour dans l’armée en servant dans la cavalerie prussienne…
Tuteur, il tombe amoureux d’Adyna, la sœur de son élève. Le père va rejeter sa demande en mariage, préférant pour sa fille un mariage plus fortuné. Paweł et Adyna vont échanger des lettres pendant plus de 40 ans, mais ne se sont jamais mariés. Ils ne se reverront qu'en 1866 à Genève !
Dès son jeune âge, Paweł rêvait de voyager… Ayant probablement hérité au décès de ses parents, il fait ses valises et part pour l'étranger. Il va voyager à travers l'Europe : Allemagne, Autriche, République tchèque, Suisse et Italie. Il va également commencer à développer un intérêt pour les sciences.
En Italie, il a rencontré et s'est lié d'amitié avec le comte polonais Francis Sapieha. Ils sont devenus proches et le comte a nommé Strzelecki administrateur de ses biens. Il excellait dans son travail et une forte amitié les unissait. Malheureusement pour Strzelecki, le comte mourut en 1829, et Strzelecki se retrouva impliqué dans un litige concernant son testament. Il héritera cependant d’une belle somme d’argent . Une fois de plus, Strzelecki se consacrera aux voyages et aux sciences naturelles.
On le retrouve en France en 1829 où il étudie la géologie, puis en Angleterre dès novembre 1831. Autodidacte, comme beaucoup de ses contemporains anglais à l’époque, il est alors appelé comte Streleski, bien qu'il n'ait jamais approuvé ce titre.
Le 8 juin 1834, il s’embarque pour l’Amérique. Au Canada, il voyage beaucoup, découvre des gisements de cuivre et de fer près du lac Huron. Pendant un certain temps, il séjourne au sein de la tribu huronne, analysant ses coutumes. Aux États-Unis, il étudie la géologie des monts Allegheny et les sols de divers États est-américains. On le retrouve aussi à Cuba, au Mexique. En Floride, il s’intéresse à la tribu séminole. En décembre 1835, il s’embarque pour le Brésil. Puis on le retrouve au Paraguay, en Uruguay, en Argentine et au Chili. Il y effectue des observations climatologiques, des recherches géologiques. Mais aussi des observations sur les coutumes indigènes, les descriptions des atrocités commises par les négriers et les meurtres sur les Indiens. Il devient un adversaire farouche de la traite des esclaves. Il quitte le port de Valparaiso en octobre 1937, s’arrête au Pérou, en Équateur, au Mexique. De nouveau, il visite des mines d’argent, étudie les coutumes indiennes, fait des recherches géologiques… et retourne à Valparaiso d’où il repart au printemps 1838 pour les îles Marquises faire des recherches anthropologiques. Ensuite, direction les îles Hawaï. Là, ses études volcaniques, analyses chimiques, calculs barométriques feront de Strzelecki un pionnier en volcanologie. Fin 1838, à Tahiti, il est l’hôte de la reine Pōmare IV et aurait siégé sur le banc du jury lors d’un procès. Ensuite, cap sur les îles Tuamotu, Gambier, Tonga et la Nouvelle-Zélande où, invité par le résident britannique James Busby, il débarque en février 1839. Il y fait les premières études géologiques et ramasse des échantillons de plomb, de fer et de cuivre. Mais il s’intéresse aussi à la langue et à la culture des Maoris. En avril de la même année, il arrive à Sydney en Australie.
Le gouverneur de la colonie britannique de Nouvelle-Galles du Sud, Sir George Gipps, le traite avec une certaine réserve mais finit par l’encourager à étudier l’intérieur du pays. En compagnie de deux anciens déportés, Strzelecki entame en août sa première expédition par les peu connues à l’époque et difficiles d’accès Blue Mountains. Il y découvre des traces d’or et d’argent dans la région de Bathurst. À son retour en novembre, le gouverneur lui demande de ne pas ébruiter ses découvertes, craignant une révolte des milliers de déportés de la colonie. En raison de ce silence, la revendication de Strzelecki concernant la découverte d'or fut plus tard contestée. Dommage peut-être pour l’Australie qui n’aura peut-être pas profité d’une ruée vers l’or avant même la Californie ! En décembre : deuxième expédition avec un jeune fermier, James Macarthur. Le 12 mars 1840, dans les Snowy Mountains, il découvre ce qu’il considère comme le sommet le plus élevé du continent australien. Il sera le premier Européen à en faire l’ascension et va le nommer Mount Kosciusko*, en l’honneur de son compatriote Tadeusz Kościuszko, héros national en Pologne mais aussi une des grandes figures de la Guerre d’indépendance des États-Unis.
*Ce n'est qu'en 1997 qu'il a été décidé par le Geographical Names Board of New South Wales de rajouter un z au nom du sommet, précédemment écrit Kosciusko, afin de respecter l'orthographe polonaise…
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Le mont Kościuszko sous la neige | Plaque commémorative |
Au-delà des montagnes, il atteint une région qu’il appelle Gippsland, en hommage au gouverneur. Continuant son chemin, il donne des noms à des lacs, des cours d’eau… Les vivres s’épuisent, la pluie empêche d’allumer un feu. Le guide indigène se voit obligé de tuer des koalas pour survivre. En mai, l’expédition arrive enfin à Melbourne où elle est accueillie avec enthousiasme. Strzelecki publie immédiatement une brochure descriptive et une première carte du Grippsland, ce qui va rapidement provoquer l’afflux des premiers colons. Il se dirige ensuite vers les plages du sud de l’Australie pour y effectuer des relevés paléontologiques. En juillet, il s’embarque pour la Tasmanie. Là, il va se trouver sous la protection du gouverneur de l’île, Sir John Franklin, avec qui il se lia d’amitié. Ils fondèrent ensemble The Tasmanian Society of Natural Sciences et le Tasmanian Journal.
Sur cette île, il fera trois expéditions terrestres et une maritime. Il sera le premier Blanc à tenter d’escalader le cône quartzeux du Frenchmans Cap. Il gravira le plus haut sommet de l’île Flinders (aujourd’hui Strzelecki Peak). Il enverra au gouverneur une carte avec ses corrections géographiques. Durant les deux années passées sur l’île, il trouvera de nouveaux gisements de charbon, des échantillons d’or et du minerai de cuivre. Il suggérera également des plans d’irrigation pour les zones agricoles touchées par la sécheresse. Il fondera un laboratoire à Launceston.
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Le Strzelecki Peak | Strzelecki National Park en Tasmanie |
Il va quitter la Tasmanie fin septembre 1842. Durant ses quatre années de recherches géologiques en Australie, Strzelecki aura donc trouvé de l’or, de l’argent, du cuivre, mais aussi de la pyrite, des phosphates, de l’arséniure, de l’oxyde de titane, de la wulfénite, et encore de l’opale, de la cornaline, de l’agate, du marbre, du kaolin, du charbon et de l’amiante !
Strzelecki aura parcouru à pied plus de 7000 miles, soit plus 11 000 kilomètres, pénétrant dans de nouveaux territoires avec la permission et l’aide de guides aborigènes, jamais par la force.
Âgé de 45 ans, Strzelecki quitte l’Australie en avril 1843. Il visite quelques îles de la Sonde, les Philippines, passe trois semaines en Chine, s’arrête à Singapour, en Égypte, à Malte et en Algérie avant de débarquer à Marseille. Il se rend à Paris pour affaires (il a perdu la majeure partie de ses biens personnels lors de la faillite d'une banque française), hésite entre la France et l’Angleterre… et finit par arriver à Londres le 24 octobre 1843. Près de dix années d’absence ! Il investit dans le National Debt Office, s’assurant ainsi une pension à vie. L’année suivante, il reçoit une belle somme d’argent du gouverneur de Tasmanie en reconnaissance de ses travaux scientifiques. Il en profite pour publier en 1845 son livre Physical Description of New South Wales and Van Diemen's Land, qui durant 45 ans, sera la source la plus sérieuse concernant la géologie et les sciences naturelles de l’Australie. Le 28 novembre, il devient sujet britannique et reçoit un mois plus tard la Médaille d’or du fondateur de la Société géographique royale d’Angleterre pour son livre.
Dès 1845, survient en Irlande une famine de grande ampleur – la Grande Famine – due, entre autres, à cinquante années d'interactions désastreuses entre la politique économique impériale britannique, des méthodes agricoles inadéquates et l'apparition du mildiou sur l'île. Des centaines de milliers de personnes mourront de faim et de maladie, et des centaines de milliers d'autres fuiront le pays.
Strzelecki va se porter volontaire pour combattre cette famine en tant qu'agent principal de la British Relief Association (B.R.A), fondée par un groupe d'éminents aristocrates, banquiers et philanthropes en 1847. Il sera chargé de surveiller la distribution des biens dans la partie occidentale de l’Irlande, la plus touchée par la famine. À son arrivée en janvier 1847, il est horrifié par la crise humanitaire dont il est témoin.
Afin d'améliorer la situation critique des familles irlandaises affamées, et en particulier des enfants, il va alors développer un mode d'aide visionnaire et exceptionnellement efficace : nourrir les enfants affamés directement par l'intermédiaire des écoles, tout en distribuant des vêtements et en promouvant les mesures d'hygiène de base. Auparavant, l’aide était distribué dans les espaces publics, dans le chaos d’émeutes où les plus valides se servaient en premier… Les rapports réguliers de Strzelecki à l'Association en tant que témoin oculaire seront reproduits dans plusieurs journaux britanniques, fournissant ainsi des preuves importantes de l'étendue des souffrances au public britannique.
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À son apogée, en 1848, environ 200 000 enfants de toutes confessions étaient nourris et vêtus, dont beaucoup auraient autrement péri de faim et de maladie. Malgré les effets de la fièvre typhoïde contractée en Irlande, Strzelecki s'est consacré sans relâche à la lutte contre la faim. En reconnaissance de son travail, il fut félicité par les deux chambres du Parlement et, en 1848, il fut fait compagnon - fait rare pour un civil - du très honorable Order of the Bath. Il partira se reposer en Bavière et à Boulogne-sur-Mer. Il faut ajouter qu’il a également aidé les familles pauvres irlandaises à se reconstruire une nouvelle vie en Australie, |
En 1856, peut-être grâce à sa connaissance du russe, il est envoyé, avec Lord Lyons, le diplomate préféré de la reine, en Crimée (où vient de se terminer la guerre). En reconnaissance de ses mérites scientifiques, il sera nommé membre de la Royal Geographical Society et de la Royal Society. L’Université d’Oxford lui décernera le titre honorifique de Doctor of Civil Law. En juin 1869, il reçoit de la reine Victoria le titre de Sir et le très distingué ordre de Saint-Michel et Saint-Georges.
Sir Paul Strzelecki meurt le 6 octobre 1873, à l’âge de 76 ans, d’un cancer du foie, laissant un testament ordonnant l'inhumation de son corps dans une tombe anonyme. Il sera inhumé au cimetière Kensal Green de Londres. En novembre 1997, son cercueil en plomb a été transféré dans la crypte des Polonais éminents de l’église Saint-Wojciech de Poznań.
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Sarcophage de Strzelecki à Poznań |
Malgré ses nombreuses réalisations, une grande partie de la vie de Sir Paul Strzelecki demeure cependant entourée de mystère. En effet, comme dans son testament il a également ordonné la destruction de tous ses journaux, notes, lettres, rapports et documents, tout ce que nous savons de lui provient donc de sources secondaires…
Nous savons donc que durant toute sa vie, il aura été un personnage complexe. Énergique et ambitieux, scientifique compétent et rigoureux, excellent administrateur, doué pour l'amitié, même s’il pouvait être rancunier et peu enclin à pardonner à ceux qui, selon lui, l'avaient maltraité. Toujours, cependant, il n’a cessé de contribuer à diverses causes en tant que vrai philanthrope.
En Irlande, il s'est consacré sans relâche à la lutte contre la faim. Son engagement a été largement reconnu et salué par ses contemporains.
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Plaque commémorative à Dublin |
En Australie, on se souvient de lui non seulement comme l'un des premiers découvreurs d'or et d'argent, ni comme l'explorateur qui a baptisé le mont Kosciusko et dressé la première carte du Gippsland, mais aussi comme l'homme qui avait une grande vision de l'avenir de l'Australie. Il fut un homme soucieux de l'environnement, de l'écologie et de la conservation des forêts en Australie, un homme qui a prôné des projets d'irrigation à grande échelle en Nouvelle-Galles du Sud et en Tasmanie, qui a prédit un avenir prometteur à l'industrie lainière australienne, un homme qui a proposé pour la première fois une étude géologique vaste et détaillée dans ce pays, dès 1845.
Strzelecki a également été qualifié de « pionnier de la météorologie australienne ».
Dans ce pays, il existe pas moins de seize points géographiques portant le nom de Strzelecki : des monts, un pic, une rivière, un ruisseau, un désert, une piste, un parc national, un village… Là-bas, son nom et les lieux qui portent son nom se prononcent généralement [strèzlèki].
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Les dunes du Strzelecki Desert (Australie du Sud) | Statue de l'explorateur polonais de l'Australie à Jindabyne |
Anecdote : en Australie, il existe un groupe de joyeux lurons : “The Strzelecki Stringbusters”, formé de 14 musiciens à cordes comprenant guitare, mandoline, banjo, ukulélé, violon, contrebasse et aussi harmonica.